Le contexte géologique
Au cœur des montagnes vosgiennes, le Val d'Argent se situe sur un important réseau de failles géologiques, dont la plus importante est celle de Sainte-Marie-aux-Mines/Retournemer. Au sud de cette faille principale, le sol contient du gneiss, une roche particulièrement riche en matières métallifères (argent, plomb, cuivre...). La zone de gneiss est elle-même fracturée en plusieurs failles secondaires. Elles se concentrent dans la montagne de l'Altenberg, entre les vallons de Fertrupt et de Saint Philippe, où elles sont orientées sur un axe Nord Sud. Dans la montagne du Neuenberg, séparant la Petite Lièpvre et le Rauenthal, les failles sont orientées Est-Ouest.
Au fil du temps, les eaux de ruissellement ont dissous les matières métallifères provenant des gneiss fracturés, et les ont transportées dans les fractures géologiques. En s'accumulant dans les failles, ces matières ont donné naissance aux filons argentifères. Ceux-ci furent exploités par l'homme de l'an 938 à 1940, en creusant près de 1100 mines au total.
L'exploitation médiévale
L'identification des filons s'effectue par une fine observation du milieu naturel et l'usage de baguette de sourciers, pour détecter les failles où beaucoup d'eau a circulé. Au 10e siècle, les mineurs creusent des puits à la verticale des filons minéralisés, pouvant atteindre jusqu'à 100 mètres de profondeur. Aujourd'hui effondrés sur eux-mêmes, ils apparaissent sous la forme d'entonnoirs sur la montagne de l'Altenberg. Leur alignement indique la présence du filon minéralisé. Mais ce système d'exploitation atteint ses limites. L'absence de systèmes d'aérage et l'accumulation des eaux d'infiltration au fond des puits rendent l'exploitation de plus en plus difficile. A partir du 13e siècle, les mineurs combinent ce système de puits avec des galeries horizontales percées à flanc de montagne. Au début du 15e siècle, la plupart des mines sont abandonnées, en raison des difficultés techniques rencontrées pour aller plus en profondeur.
L'âge d'or des mines d'argent
Au 15e siècle, la mise au point de nouvelles techniques d'exhaure, d'aérage, et de creusement favorise la reprise des anciens travaux miniers, qui prend une ampleur considérable. Entre 1500 et 1549, près de 3000 mineurs, originaires de cités minières de Saxe, de Forêt Noire, et du Tyrol, viennent s'établir à Sainte-Marie-aux-Mines. Durant cette période, 1200 maisons sont construites pour les loger, et le village de Fertrupt est créé ex nihilo en bordure de l'Altenberg, où sont exploitées des mines de galènes argentifères. Les compagnies minières se livrent parfois à de véritables guerres souterraines, en tentant d'exploiter les filons des concessions voisines par des galeries pirates. Ces conflits liés aux mines sont tranchés les représentants de l'administration minière locale, organisée dès 1527.
En 1549, cinq nouveaux filons, à base de cuivres argentifères, sont découverts dans la montagne du Neuenberg. Leur exploitation est florissante jusqu'en 1570, puis elle entame un long déclin, dû à la cherté des denrées et à la concurrence de l'argent produit en Amérique du Sud. Ce déclin est entrecoupé par quelques trouvailles exceptionnelles. En 1581, la découverte un bloc d'argent de 592 kg dans le filon Saint Jean Engelsbourg ravive l'intérêt des concessionnaires pendant quelques années encore. Mais la Guerre de 30 ans (1618-1648), conjuguée à la famine et à la peste, contraint les mineurs au départ. En 1636, l'activité minière s'arrête complètement.
Les tentatives de reprises au 18e -20e siècle
Après une longue période d’arrêt, l’exploitation minière redémarre au début du 18e siècle. En 1711, les entrepreneurs Knoll, Duringer et Sederer s'associent pour créer une nouvelle compagnie minière la "Seygerhutte". Celle-ci ouvre la mine Chrétien dans le Rauenthal, pour y exploiter du minerai contenant du cobalt. Au 18e siècle, le bleu de cobalt est utilisé comme élément de coloration pour les glaçures des poteries, et pour la teinte des tissus. Confrontée à des coûts d’exploitation croissants, la Compagnie Seygerhütte est dissoute en 1767. L'activité minière est reprise par de nouveaux concessionnaires jusqu’à la Révolution, et se poursuit sporadiquement.
Du 19e siècle à 1940, les mines sont régulièrement mises aux enchères et reprises par des compagnies éphémères. Toutes ces tentatives se soldent par la faillite des entreprises, à l'issue de quelques années d'activités. La tentative la plus spectaculaire a lieu à la fin du 19e siècle. En 1897 est créée la Markircher Berg und Hüttenverein. Cette nouvelle entreprise s'appuie sur des témoignages, collectés au début du 19e siècle, prétendant l'existence de filons encore vierges dans les anciens travaux miniers. Sur la base de ces enquêtes, la société minière entreprend la réouverture d’une demi-douzaine de galeries aux Mines de Plomb, dans le vallon du Rauenthal, de la Petite Lièpvre, et fait construire une usine monumentale dans le Rauenthal, pour le traitement du minerai. Rapidement, les résultats déçoivent. L’ampleur des travaux anciens a été largement sous-estimée, en raison de l’absence d’études sérieuses des archives minières. En 1907, l'entreprise dépose le bilan définitivement. Entre 1932 et 1940, deux ultimes tentatives sont entreprises pour rouvrir la mine Gabe Gottes en vue d’exploiter ses filons d’arsenic. Le 17 juin 1940, l’arrivée des troupes nazies provoque la fermeture de la mine, mettant un terme à un millénaire d’exploitation minière en Val d’Argent.
Les témoins de l'exploitation minière
Ce millénaire d'activité minière a profondément marqué le Val d'Argent de son empreinte. Le paysage du Val d'Argent est émaillé par plus d'un millier de haldes, terme désignant l'accumulation des roches stériles rejetées devant l'entrée de la mine.
L'exploitation minière a également influencé l'architecture civile du Val d’Argent. Construites à Sainte-Marie-aux-Mines au 16e siècle, les maisons à tourelle hébergeaient les services et les hauts responsables de l'administration minière et seigneuriale. La tour marque les lieux de pouvoirs dans le paysage. Au-delà de leurs fonctions administratives, ces bâtiments sont représentatifs d'un style architectural germanique : malgré l'existence d'une administration minière identique, aucune maison à tourelle ne fut construite sur le côté lorrain du Val d’Argent. Les mineurs ouvriers logent quant à eux dans des maisons plus modestes. Certaines d’entre elles disposent de linteaux sculptés ornés du marteau et de la pointerolle, symbolisant leur profession.
Ce réseau de maisons à tourelle est complété par la Tour des Mineurs à Echery. Erigé vers 1550, ce donjon carré sert de tribunal et de prison pour les mineurs. Il héberge aujourd’hui le siège social à la Caisse des mineurs, une caisse de secours mutuels créée au milieu du 16e siècle pour les mineurs, et qui fête ses 450 ans d'existence officielle cette année.